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La vie, c'est maintenant !.png

Ce matin-là, je me levai de très mauvaise humeur. Encore plus que d’habitude je veux dire. J’avais très mal dormi, entre la chaleur et la télé du voisin que j’entendais à travers les murs. La journée allait être longue, la plus longue de la semaine, alors ce n’était vraiment pas le jour pour être dans cet état.

 

J’avalai un café, fade, comme cette journée, comme le temps, comme mon allure lorsque je me regardai dans le miroir. Je décidai de ne pas m’attarder à la salle de bain au risque d’aggraver mon humeur aussi grise que le ciel. Une douche rapide, un coup de sèche cheveux pour tenter de dompter ma crinière, en vain, et un léger maquillage pour me donner des couleurs et avoir meilleure mine. Je trouvai le résultat peu convaincant mais ça, ce n’était pas qu’aujourd’hui. C’était simplement moi, depuis aussi loin que je m’en souvienne : pas du tout confiante, me trouvant banale, que ce soit physiquement ou dans ma personnalité. Même pas capable d’être originale dans mes soucis !

 

Mais ce n’était pas l’heure de se plaindre, j’aurai tout le temps de m’apitoyer sur moi-même ce soir en rentrant, seule dans mon appartement, même pas un animal pour me tenir compagnie. Plus le temps passait et plus je devenais morose. Il fallait vraiment que je me sorte de cet état d’esprit permanent, état d’esprit que je condamnai à une époque. Comment en étais-je arrivée là ? Comment la vie m’avait-elle fait tombé aussi bas ? Il n’était pas non plus l’heure des débats philosophiques avec moi-même. Je me mis en route pour cette longue journée de travail.

 

Je survécus tant bien que mal à cette journée. Mon humeur ne fit qu’empirer d’heure en heure et je passai mes temps de pause enfermée dans mon bureau, peu encline à la discussion avec mes collègues. De toute façon, cela faisait longtemps qu’ils ne venaient plus vers moi. Mon attitude ne devait pas être très attrayante, je dégageai sûrement une mauvaise aura, pleine de tristesse et d’apitoiement. Mais cela me convenait très bien, qu’on me laisse dans ma bulle, dans mes pensées, dans mes méandres. J’y trouvai bizarrement un certain réconfort. Comme si le fait d’être de plus en plus seule justifiait mon humeur et non l’inverse.

 

J’allumais la télé et lançais une série. C’était devenu mon refuge depuis quelques temps. J’avais vite compris que c’était une façon de m’évader de ma vie. Les seules séries qui m’intéressaient ne parlaient que de personnages tous plus confiants et beaux les uns que les autres et qui vivaient leur vie à fond en réalisant leur rêve, même les plus fous, et en étant adulés de tout le monde pour leur intelligence, leur sens de l’humour et tous les clichés que l’on peut imaginer. Et dans l’épisode de ce soir, justement, mon héroïne avait la révélation de ce qu’elle allait faire dans la vie, ce qu’elle devait faire. Quel sentiment cela doit être, de se retrouver face à l’évidence de son chemin de vie. Ce que toute personne cherche sur cette terre mais qui n’arrive que dans la fiction. Moi je ne faisais que mollement suivre les jours avec leurs contraintes et leurs surprises, plutôt mauvaises que bonnes d’ailleurs.

 

J’en étais là de mes réflexions lorsque je me mis à pleurer, sans aucune raison apparente. Ou peut-être que si. Mon corps et mon esprit étaient fatigués de toutes ses réflexions moroses. C’était devenu une routine quotidienne : comparer ma vie à ce que je voyais à la télé et me rendre de plus en plus malade parce que je n’étais pas là où je devais être. Oui c’est ça qui a déclenché mes larmes. Ce soir, en creusant davantage dans le gouffre de ma vie, je m’étais clairement rendue compte que je n’étais pas à ma place, et finalement, je le savais au fond de moi depuis longtemps. Depuis ce jour où en passant dans une rue, j’avais vu cette affiche pour un concours d’écriture. Je n’avais même pas eu dans l’idée d’y participer, j’avais simplement eu un pincement au cœur en me disant que jamais je n’aurai le courage de le faire, j’avais perdu ma motivation pour tout projet. Et inconsciemment, je m’étais rendue compte que ce n’était pas normal de ne plus avoir goût à la vie à mon âge.

 

Je m’endormis sûrement de fatigue en pleine crise de larmes car ce sont les rayons du soleil qui me réveillèrent. Un joli ciel bleu et un astre flamboyant perçaient ma fenêtre dont je n’avais pas eu le temps de fermer les volets la veille au soir. Je ne bougeais pas, je profitai de cette vue qui me redonnait un peu d’espoir après le ciel gris de la veille. Comme un signe envoyé de je-ne-sais où pour me dire qu’après la tempête, vient le calme. J’avais besoin d’y croire. Je ne pouvais pas continuer comme cela, il fallait que je recommence à croire en la vie, en ce qu’elle allait m’offrir après ces quelques années difficiles. Je ne méritai pas de continuer ainsi.

 

C’était la première fois depuis des mois que j’avais une pensée aussi positive à mon sujet. Je m’octroyais le droit de me faire des éloges et cela faisait un bien fou. Après tout, si moi-même je ne croyais pas en moi, qui le ferait ! C’est donc sur cette bonne résolution que je me levais et décidais de prendre mon temps pour me préparer et sortir profiter de mon jour de repos et de cette météo enivrante. Je passais sous la douche, prenais le temps de me coiffer davantage que la veille et je forçais un peu plus sur le maquillage. J’étais même d’humeur à faire des efforts sur ma tenue et changeais donc de l’habituel jean informe et du T-shirt unicolore qui étaient devenus mon uniforme ces derniers temps pour passer inaperçue. J’optais plutôt pour une robe à fleurs, quoi de mieux pour retrouver sa féminité et sa légèreté.

 

C’est ainsi qu’une heure plus tard, je me retrouvai à flâner sur les quais, envahis de monde. Mais aujourd’hui, cela ne me dérangeait pas d’être entourée. J’avais besoin de contact. J’avais toujours été une personne très sociable avant, je sortais régulièrement et étais d’ailleurs souvent l’instigatrice des soirées entre amis. Jusqu’à ce que je me retrouve célibataire et ne me sente plus à l’aise au milieu de ces couples. Alors je voyais de moins en moins mes amies. Il fallait que je remédie à cela.

 

J’étais toujours plongée dans mes pensées, bien plus positives qu’elles ne l’avaient été depuis longtemps, quand, au détour d’une ruelle, naviguant dans la ville au gré de mes envies, je le vis. Il était grand, majestueux même, planté au milieu de cette petite place. Il me fit l’effet d’un coup dans le ventre. Et j’avais beau le fixer, je ne comprenais pas pourquoi. Je restai là, figée au coin de la rue, les yeux rivés sur lui, en me demandant si c’était mon imagination qui me jouait des tours, si j’avais regardé trop de séries ou lu trop de livres pour croire à un tel effet. Je décidais enfin de bouger et de m’approcher pour voir si mon ressenti allait changer. J’avais, pendant un instant, oublié où je me trouvais et failli me faire percuter par une voiture. Je m’excusai auprès du chauffeur qui me fit quelques signes pour exprimer sa colère et sa frayeur. Moi, je n’avais pas eu le temps d’avoir peur.

En me retournant pour reprendre mon chemin, je m’attendais presque à ce qu’il ait disparu. Je fus soulagée de voir qu’il était toujours là et qu’il me faisait toujours le même effet. Un sentiment apaisant. Je m’approchai encore jusqu’à pouvoir le toucher.

 

Au moment où j’allais poser mes mains sur son tronc, j’eus un moment d’hésitation. Si quelqu’un me voyait, il allait se demander ce que j’étais en train de faire. Mais l’appel était plus fort que mes réticences. Mes mains entrèrent en contact avec le corps de cet arbre qui m’avait appelé à lui. Mon apaisement se fit plus fort. J’osais même poser mon front contre le tronc et pris une profonde inspiration. Ce qui déclencha à nouveau mes larmes. Mais cette fois, c’était des larmes de soulagement, comme si toutes les épreuves que j’avais enduré et les marques qu’elles avaient laissé voulaient sortir en même temps. Je n’avais plus aucun pensée pour les gens sur la place. Je voulais juste profiter de ce moment, de cette sensation nouvelle et tellement agréable. Je ne sais combien de temps je restai là, à me vider de mes larmes, à me purifier. Quand j’ouvris enfin les yeux, je fus étonnée de ma vision si claire. Je m’attendais à avoir les yeux embués. Mon regard se posa dans un petit trou du tronc dans lequel quelque chose était coincé. Un morceau de papier jauni par le temps. Je le pris et l’ouvris. Je compris pourquoi on m’avait guidé jusqu’à cet arbre. Sur ce papier, une phrase, manuscrite, dans une écriture élégante et assurée :

« La vie c’est maintenant. »

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